Dernier projet en date de notre ensemble instrumental Caravaggio, Thirteen ways of being a blackbird rassemble 13 moments tour à tour « chansons » ou pièces instrumentales, composés alternativement par Benjamin de la Fuente et Samuel Sighicelli, pour six musiciens : les quatre piliers du groupe – Bruno Chevillon (contrebasse), Benjamin de la Fuente (violon), Eric Echampard (batterie, percussions et pad électronique) et Samuel Sighicelli (synthétiseurs et sampler) – et deux invités – Garth Knox (alto, viole d’amour, vielle à archet) et Diamanda La Berge Dramm (violon et voix).
Avant que le Printemps des Arts de Monte-Carlo ne nous passe commande de ce programme, cela faisait une dizaine d’années que nous avions le désir de créer un programme de Caravaggio avec une voix. Mais comme nous ne voulions pas placer le groupe dans la situation statique d’accompagnement d’une chanteuse ou d’un chanteur – ce ne serait plus Caravaggio –, trouver la formule de ce projet a pris du temps. Nous voulions une personnalité ayant un ancrage dans le groupe tout en pouvant s’en extraire et affirmer quelque chose de singulier en termes de chant. Nous l’avons trouvée en la personne de Diamanda La Berge Dramm. Violoniste soliste accomplie, cette artiste amstellodamoise n’a jamais cessé d’élargir sa palette musicale, développant un travail passionnant autour de sa voix chantée avec son violon, utilisant parfois un violon électrique.
À cette excitation s’ajoute celle d’écrire pour un quatuor de cordes constitué de quatre solistes singuliers, dont l’invité Garth Knox, laissant présager des couleurs et des gestes apportant leur belle part au projet. La voix de Diamanda La Berge Dramm, dont la force émotionnelle anime le timbre pur, traverse le concert sans être placée au centre et à l’avant-scène comme on pourrait l’attendre d’une chanteuse soliste. Le code du chant comme figure sur fond est ici brouillé, non seulement par le décentrement de la chanteuse au plateau mais également par le fait que celle-ci alterne chant et jeu du violon, son instrument d’origine. Le fait que la voix ne soit pas omniprésente est surtout un moyen pour nous de la rendre plus précieuse, plus nécessaire, plus magique.
Ainsi, nous considérons l’ensemble des six musiciens comme une entité aux couleurs et aux fonctions changeantes, à l’intérieur de laquelle des synergies se dessinent selon les moments : les quatre instruments à cordes se réunissent, la batterie s’associe à la contrebasse, le chant vient se mêler aux cordes, les cordes aux claviers, le sampler joue avec la batterie ou la voix chantée, etc.
Avec cette création nous entendons, une fois de plus, explorer, élargir notre palette et accueillir la voix et le violon de Diamanda La Berge Dramm et les instruments de Garth Knox en modifiant l’architecture du groupe, en adaptant les rôles (pas de basse électrique par exemple, travail d’un son de batterie nouveau avec l’utilisation de triggers, claviers pensés à la fois comme orchestration des cordes et partie intégrante de la rythmique…). L’écriture des quatre cordes sera riche de situations, allant d’une pensée contrapuntique mettant en avant les singularités de chacun jusqu’à une pensée orchestrale. Étoffée par un travail de sampling aux claviers, elle apportera le pendant expressif du « bloc rythmique » constitué de la batterie et des claviers électroniques. En outre, chaque instrumentiste possède son set de traitements électroniques (pédales analogiques, effets numériques), qui participera du son singulier de cette « section de cordes ».
Le langage musical est dans la lignée du travail de Caravaggio, qui forme la base de l’orchestre. Ce langage est marqué par une approche venue à la fois du jazz contemporain (importance du rythme et de l’énergie), des musiques de création (part d’improvisation, utilisation de traitements numériques et analogiques) et de la musique orchestrale contemporaine (écriture, travail de l’espace, des densités et du timbre proche de celui de l’orchestre contemporain). La rencontre entre ces diverses esthétiques et une voix « pop » font de Thirteen way of being a blackbird un projet original, mixte et hybride.
Le titre est tiré du long poème I Mean de Kate Colby, poétesse américaine contemporaine. Toutes les paroles de cette création sont tirées de ce poème, excepté pour une pièce qui s’appuie sur le poème Sanity de Caroline Bird, autrice britannique contemporaine. Le poème I Mean de Kate Colby, une longue litanie dont chaque vers commence par « I mean » (« Je veux dire »), est une divagation réflexive, énergique et parfois absurde autour du corps de l’autrice immergé dans un bain qui devient le théâtre de grandes envolées maritimes, spatiales, chimiques ou philosophiques. Le poème Sanity de Caroline Bird prend quant à lui la forme d’une énumération fantaisiste et ironique de ce qu’une « femme moderne » fait dans sa vie – « Have a baby » (« Aie un enfant ») étant juxtaposé à « Stop eating Coco Pops » (« Arrête de manger des Coco Pops »)…