« Quant à la musique, je peux dire très franchement qu’elle a été la moitié de ma vie… »
J’ai découvert ton travail quand nous nous sommes rencontrés après mon élection à l’Académie des Beaux-Arts. J’ai été saisi par ton sens de l’énergie, de l’animation. Tes toiles et tapisseries semblent en perpétuel mouvement mais aussi héritières d’une forme de structuralisme par une construction rigoureuse. Te définirais-tu comme un créateur synthétique ?
À vrai dire je n’ai jamais pensé à rattacher mon travail à un quelconque mouvement, école ou doctrine. Je n’ai jamais cherché à me « situer » par rapport aux autres ou à l’histoire. Cette problématique m’est totalement étrangère, j’ai toujours préféré naviguer en solitaire…
J’ai sans cesse laissé aux « spécialistes » le soin de me mettre dans des cases, de me rattacher à des courants ce qui, d’ailleurs, a pu en déstabiliser un certain nombre d’entre eux car finalement, ma production leur apparaissait comme inclassable voire… ésotérique.
Mes réalisations résultent tout simplement du désir profond de créer, composer, organiser des schémas, simples ou complexes, calmes ou tourmentés, violents, selon les moments, les époques… Question d’humeur. C’est une sorte de jeu graphique dont je me suis fixé les règles, un jeu toujours rigoureux.
Disons que mon langage visuel me classe plutôt dans une forme d’abstraction géométrique, empreinte parfois de… surréalisme.
On m’a aussi souvent qualifié de visionnaire, précurseur par rapport à notre époque… Voilà qui est flatteur mais surtout étrange pour quelqu’un qui n’aime pas se situer par rapport aux autres.
J’ai reçu il y a quelques mois une proposition, celle de participer à une exposition dont le titre est : « Abstraction excentrique ».
Voilà qui confirme la difficulté de me classer ! Donc le terme « synthétique » pourrait en effet me qualifier. Une synthèse synonyme de liberté !
Ta production est d’une rare homogénéité. Comment définirais-tu ton style ?
Au début de ma carrière, lorsque j’ai commencé à créer des cartons de tapisserie, je n’avais pas de style, je me cherchais.
Il faut extraire de ma production, globalement, les dix premières années consacrées à la tapisserie, où j’explorais différentes formes d’expression avec avidité, passion mais aussi interrogation, incertitude, doute.
J’y trouvais mon bonheur, mais je sentais que mon style était incomplet, imparfait, je ne trouvais pas ma « vraie » voie… Celle-ci est apparue en 1963 lorsque j’ai commencé à peindre, et s’est confirmée, affirmée définitivement à partir de ce moment.
La musique et les arts plastiques relèvent de deux perceptions différentes. Dans le premier cas, le compositeur définit une temporalité à laquelle le public est soumis. Dans le second, le spectateur reçoit l’œuvre de façon instantanée puis il se fraye un chemin dont il définit lui-même le parcours et la durée. Qu’attends-tu de celui qui découvre une de tes œuvres ? Qu’espères-tu déclencher comme réaction chez ton spectateur ?
Question délicate, difficile. La rigueur de mon écriture picturale, sa sécheresse diraient certains, perturbent ou séduisent, c’est selon… De toute manière, généralement mon travail étonne, surprend, intrigue : séduction, rejet, indifférence, l’éventail est très large !
J’attends de celui qui découvre mon travail, au minimum, qu’il admette ce que j’ai réalisé, qu’il respecte ma démarche, même si elle ne lui convient pas. En revanche, s’il est touché, intéressé, je suis profondément heureux d’être compris sans avoir eu besoin de donner des explications sur le sens de mes recherches, de ma démarche.
En tant qu’académicien, tu as rencontré des artistes de nombreuses disciplines. Quelles sont celles qui t’ont le plus nourri intellectuellement ? Et quelle est ta relation à la musique ?
Toutes m’ont apporté leur part de découverte, de révélation, de connaissance plus approfondie de domaines que je connaissais peu ou mal. Ces rencontres ont toujours été enrichissantes, passionnantes, instructives.
Quant à la musique, je peux dire très franchement qu’elle a été la moitié de ma vie… Elle avait autant d’importance que ma peinture. Elle m’habitait littéralement, elle m’était absolument indispensable pour « fonctionner », pour vivre, créer… C’était mon « opium céleste », une addiction !
Il me faudrait des journées pour en parler, démontrer l’importance qu’elle a eue dans ma vie. Car à mon immense regret, tristesse, à part le chant choral, je n’ai jamais pratiqué la musique, joué d’un instrument.
Combien de fois ai-je comparé l’accord de sons avec celui de mes couleurs, le « canevas sonore » de certains mouvements musicaux avec celui de mes propres graphismes… Celui de leur organisation ! Composition, ordonnancement, enchainements : que de parallélismes entre ces deux mondes extraordinaires…
Il m’arrivait souvent, lorsque je piétinais, stagnais dans mon travail, d’enclencher certaines musiques, pièces, morceaux, pour retrouver, presque instantanément, le fil de mon inspiration…
Propos recueillis par Bruno Mantovani le 9 juillet 2025.