Les laudes monodiques italiennes sont un phénomène littéraire et musical absolument fascinant à la frontière du populaire et du savant. Il s’agit du premier répertoire italien en langue vernaculaire.
Expression de la dévotion populaire, elles sont un élément déterminant de la vie des confréries en Toscane et en Ombrie entre le XIIIe et le début du XVIe siècle. Elles sont réunies dans divers « Laudarii », recueils de poésies dévotionnelles. Le Laudario de Cortone (fin XIIIe s.) et celui de Florence (Magliabechiano 18, début XIVe s.) sont les deux seuls manuscrits de laudes italiennes monodiques conservés avec leur notation musicale.
Charmer, réjouir, enseigner, réunir font partie de l’objectif des confréries et spécialement des « lausedi » (sociétés ou confréries de chantres) créées pour chanter les louanges à la Vierge Marie. Les laudes s’inscrivent directement dans la vocation d’une confrérie, groupe laïc jouant un rôle important dans la vie religieuse et citadine, autant caritative que culturelle. Elles s’inscrivent dans la mouvance de la spiritualité de Saint François d’Assise. La musique est un moyen d’élévation spirituelle et un mode d’expression de la louange, vecteur actif de la poésie. Comme la peinture, elle doit toucher directement. Le chant doit répondre à la musicalité du texte, sans affectation ni grandiloquence. Les laudes monodiques, non exemptes de quelques maladresses, ont un réel charme et un vrai pouvoir d’évocation. La poésie n’est pas naïve, elle est précise, directe, chantante ; elle est, comme de nombreuses productions populaires, suffisamment savante pour mériter le statut d’art à part entière.
Toutes ces laudes sont pensées en rythme libre, sans pulsation régulière, phénomène qui devient rare à la fin du XIIIe siècle. Le rythme se retrouve naturellement à partir de la structure du texte, de la mélodie elle-même et de sa modalité. Pour les pièces instrumentales, en dehors du motet (noté sommairement dans le manuscrit de Cividale – XIVe s.), nous avons choisi quelques laudes qui, libérées de leur texte, peuvent s’interpréter en rythme mesuré. Elles sont une base sur laquelle les musiciens ornementent, développent, improvisent.
Les deux sources musicales qui ont transmis les laudes ne comportant que la mélodie du refrain et de la première strophe en notation carrée (suivie du texte seul des strophes suivantes), l’interprète doit faire de nombreux choix en termes de tessiture des voix, d’instrumentation, de technique d’accompagnement (souvent inspirée de musiques modales traditionnelles), d’ajout de contrepoint simple.
Le propos est de mettre en regard une interprétation historique de ces laudes avec des improvisations au violon, libres de contraintes stylistiques, et deux compositions utilisant l’effectif vocal et instrumental en présence, chacune d’elles sur un texte de laudes tiré du Laudario de Cortone.
Compositrice et violoniste suisse fascinée par l’improvisation, Helena Winkelman a composé, sur un texte de ce même Laudario, « O divina virgo » pour ténor, soprano, récitant et quatre instruments (traverso et vièle médiévale, oud et violon). La partition, très riche en mélismes, témoigne du vif intérêt de la compositrice pour l’ornementation, nourri par sa passion pour la musique classique indienne. L’importance donnée au registre médium, qui découle des tessitures vocales et instrumentales du projet, ouvre de nombreuses possibilités de frottements micro-tonaux dans une œuvre qui explore par ailleurs des modes et des notes de référence qui guident l’orientation harmonique de la pièce.
Comme souvent, ma pratique d’un répertoire ancien – ici, les laudes monodiques italiennes, souvent partagées avec d’autres répertoires dévotionnels (Cantigas de Santa María, chansons de Gautier de Coincy…) – stimule le désir d’écrire et d’ainsi dialoguer avec le passé. L’interprétation des musiques très anciennes oblige le musicien à compléter, arranger, développer le matériel existant, souvent elliptique. Cela peut entraîner naturellement l’interprète vers le processus de composition. Regardant dans la même direction, les compositions prennent alors un autre chemin.
« Ave regina gloriosa » est écrit pour deux sopranos, deux ténors, violon, vièle et traverso médiévaux. Il garde la structure d’une chanson strophique avec refrain : refrain – 1ère strophe – interlude instrumental – 2e strophe (plus développée) – refrain… Si la composition utilise des développements polyphoniques (harmoniques et contrapuntiques), elle tend à conserver le caractère direct du style des laudes en respectant la prosodie et la structure du texte.
Les textes des laudes ont, dès le XIIIe et jusqu’au XVIe siècle, inspiré les compositeurs italiens. Aujourd’hui, avec la redécouverte des répertoires anciens, cette envie d’écrire se renouvelle et ces textes continuent de stimuler la création.
Dominique Vellard